Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 9.djvu/100

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas possible. Vous qui voulez faire un livre, me dit-elle, vous devriez retenir Charleval et du Merlerault. Vous ne trouverez pas mieux. — Il se fera faire tout simplement procès, et il ira en prison ; vous lui donnez de très mauvais conseils, Oriane. — J’espère pour lui qu’il a à sa disposition des personnes plus jeunes s’il a envie de demander de mauvais conseils, et surtout de les suivre. Mais s’il ne veut rien faire de plus mal qu’un livre ! » Assez loin de nous, une merveilleuse et fière jeune femme se détachait doucement dans une robe blanche, toute en diamants et en tulle. Madame de Guermantes la regarda qui parlait devant tout un groupe aimanté par sa grâce.

« Votre sœur est partout la plus belle ; elle est charmante ce soir », dit-elle, tout en prenant une chaise, au prince de Chimay qui passait. Le colonel de Froberville (il avait pour oncle le général du même nom) vint s’asseoir à côté de nous, ainsi que M. de Bréauté, tandis que M. de Vaugoubert, se dandinant (par un excès de politesse qu’il gardait même quand il jouait au tennis où, à force de demander des permissions aux personnages de marque avant d’attraper la balle, il faisait inévitablement perdre la partie à son camp), retournait auprès de M. de Charlus (jusque-là quasi enveloppé par l’immense jupe de la comtesse Molé, qu’il faisait profession d’admirer entre toutes les femmes), et, par hasard, au moment où plusieurs membres d’une nouvelle mission diplomatique à Paris saluaient le baron. À la vue d’un jeune secrétaire à l’air particulièrement intelligent, M. de Vaugoubert fixa sur M. de Charlus un sourire où s’épanouissait visiblement une seule question. M. de Charlus eût peut-être volontiers compromis quelqu’un, mais se sentir, lui, compromis par ce sourire partant d’un autre et qui ne pouvait avoir qu’une signification, l’exas-