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vous ayez pu trouver une enveloppe d’une dimension pareille. Où avez-vous déniché cela ?

— C’est la maison de photogravures qui fait souvent ce genre d’expéditions. Mais c’est un mufle, car je vois qu’il a écrit dessus : « la duchesse de Guermantes » sans « madame ».

— Je lui pardonne, dit distraitement la duchesse, qui, tout d’un coup paraissant frappée d’une idée qui l’égaya, réprima un léger sourire, mais revenant vite à Swann : Eh bien ! vous ne dites pas si vous viendrez en Italie avec nous ?

— Madame, je crois bien que ce ne sera pas possible.

— Eh bien, Mme  de Montmorency a plus de chance. Vous avez été avec elle à Venise et à Vicence. Elle m’a dit qu’avec vous on voyait des choses qu’on ne verrait jamais sans ça, dont personne n’a jamais parlé, que vous lui avez montré des choses inouïes, et même, dans les choses connues, qu’elle a pu comprendre des détails devant qui, sans vous, elle aurait passé vingt fois sans jamais les remarquer. Décidément elle a été plus favorisée que nous… Vous prendrez l’immense enveloppe des photographies de M. Swann, dit-elle au domestique, et vous irez la déposer, cornée de ma part, ce soir à dix heures et demie, chez Mme  la comtesse Molé. Swann éclata de rire. « Je voudrais tout de même savoir, lui demanda Mme  de Guermantes, comment, dix mois d’avance, vous pouvez savoir que ce sera impossible. »

— Ma chère duchesse, je vous le dirai si vous y tenez, mais d’abord vous voyez que je suis très souffrant.

— Oui, mon petit Charles, je trouve que vous n’avez pas bonne mine du tout, je ne suis pas contente de votre teint, mais je ne vous demande pas cela pour dans huit jours, je vous demande cela pour dans dix mois. En dix mois on a le temps de se soigner, vous savez. À ce moment un valet de pied vint annoncer