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raient, si c’était expliqué par vous dans de vieilles églises romanes, ou dans des petits villages perchés comme dans les tableaux de primitifs. Mais nous allons regarder votre photographie. Défaites l’enveloppe, dit la duchesse à un valet de pied.

— Mais, Oriane, pas ce soir ! vous regarderez cela demain, implora le duc qui m’avait déjà adressé des signes d’épouvante en voyant l’immensité de la photographie.

— Mais ça m’amuse de voir cela avec Charles », dit la duchesse avec un sourire à la fois facticement concupiscent et finement psychologique, car, dans son désir d’être aimable pour Swann, elle parlait du plaisir qu’elle aurait à regarder cette photographie comme de celui qu’un malade sent qu’il aurait à manger une orange ou comme si elle avait à la fois combiné une escapade avec des amis et renseigné un biographe sur des goûts flatteurs pour elle. « Eh bien, il viendra vous voir exprès, déclara le duc, à qui sa femme dut céder. Vous passerez trois heures ensemble devant, si ça vous amuse, dit-il ironiquement. Mais où allez-vous mettre un joujou de cette dimension-là ?

— Mais dans ma chambre, je veux l’avoir sous les yeux.

— Ah ! tant que vous voudrez, si elle est dans votre chambre, j’ai chance de ne la voir jamais, dit le duc, sans penser à la révélation qu’il faisait aussi étourdiment sur le caractère négatif de ses rapports conjugaux.

— Eh bien, vous déferez cela bien soigneusement, ordonna Mme  de Guermantes au domestique (elle multipliait les recommandations par amabilité pour Swann). Vous n’abîmerez pas non plus l’enveloppe.

— Il faut même que nous respections l’enveloppe, me dit le duc à l’oreille en levant les bras au ciel. Mais, Swann, ajouta-t-il, moi qui ne suis qu’un pauvre mari bien prosaïque, ce que j’admire là dedans c’est que