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aurait « pris jour » avec Mme  de Guermantes. Aucune de ces dames fleurs ne partit avant la princesse de Parme. La présence de celle-ci — on ne doit pas s’en aller avant une Altesse — était une des deux raisons, non devinées par moi, pour lesquelles la duchesse avait mis tant d’insistance à ce que je restasse. Dès que Mme  de Parme fut levée, ce fut comme une délivrance. Toutes les dames ayant fait une génuflexion devant la princesse, qui les releva, reçurent d’elle dans un baiser, et comme une bénédiction qu’elles eussent demandée à genou, la permission de demander son manteau et ses gens. De sorte que ce fut, devant la porte, comme une récitation criée de grands noms de l’Histoire de France. La princesse de Parme avait défendu à Mme  de Guermantes de descendre l’accompagner jusqu’au vestibule de peur qu’elle ne prît froid, et le duc avait ajouté : « Voyons, Oriane, puisque Madame le permet, rappelez-vous ce que vous a dit le docteur. »

« Je crois que la princesse de Parme a été très contente de dîner avec vous. » Je connaissais la formule. Le duc avait traversé tout le salon pour venir la prononcer devant moi, d’un air obligeant et pénétré, comme s’il me remettait un diplôme ou m’offrait des petits fours. Et je sentis au plaisir qu’il paraissait éprouver à ce moment-là, et qui donnait une expression momentanément si douce à son visage, que le genre de soins que cela représentait pour lui était de ceux dont il s’acquitterait jusqu’à la fin extrême de sa vie, comme de ces fonctions honorifiques et aisées que, même gâteux, on conserve encore.

Au moment où j’allais partir, la dame d’honneur de la princesse rentra dans le salon, ayant oublié d’emporter de merveilleux œillets, venus de Guermantes, que la duchesse avait donnés à Mme  de Parme. La dame d’honneur était assez rouge, on sentait qu’elle avait été bousculée, car la princesse, si bonne envers