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— Cela ne m’étonne pas du tout. Je n’ai pas besoin de vous dire, dit le duc qui se croyait extrêmement moderne, contempteur plus que quiconque de la naissance, et même républicain, que je n’ai pas beaucoup d’idées communes avec mon cousin. Madame peut se douter que nous nous entendons à peu près sur toutes choses comme le jour avec la nuit. Mais je dois dire que si ma tante épousait Norpois, pour une fois je serais de l’avis de Gilbert. Être la fille de Florimond de Guise et faire un tel mariage, ce serait, comme on dit, à faire rire les poules, que voulez-vous que je vous dise ? Ces derniers mots, que le duc prononçait généralement au milieu d’une phrase, étaient là tout à fait inutiles. Mais il avait un besoin perpétuel de les dire, qui les lui faisait rejeter à la fin d’une période s’ils n’avaient pas trouvé de place ailleurs. C’était pour lui, entre autres choses, comme une question de métrique. « Notez, ajouta-t-il, que les Norpois sont de braves gentilshommes de bon lieu, de bonne souche. »

— Écoutez, Basin ce n’est pas la peine de se moquer de Gilbert pour parler comme lui, dit Mme de Guermantes pour qui la « bonté » d’une naissance, non moins que celle d’un vin, consistait exactement, comme pour le prince et pour le duc de Guermantes, dans son ancienneté. Mais moins franche que son cousin et plus fine que son mari, elle tenait à ne pas démentir en causant l’esprit des Guermantes et méprisait le rang dans ses paroles quitte à l’honorer par ses actions. « Mais est-ce que vous n’êtes même pas un peu cousins ? demanda le général de Saint-Joseph. Il me semble que Norpois avait épousé une La Rochefoucauld. »

— Pas du tout de cette manière-là, elle était de la branche des ducs de La Rochefoucauld, ma grand’mère est des ducs de Doudeauville. C’est la propre grand’mère d’Édouard Coco, l’homme le plus sage de