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— Justement, son frère avait épousé ma sœur, dit M. de Guermantes, et d’ailleurs sa mère était cousine germaine de la mère d’Oriane.

— Mais en ce qui concerne M. Elstir, ajouta le prince, je me permettrai de dire que, sans avoir d’opinion sur ses œuvres, que je ne connais pas, la haine dont le poursuit l’empereur ne me paraît pas devoir être retenue contre lui. L’empereur est d’une merveilleuse intelligence.

— Oui, j’ai dîné deux fois avec lui, une fois chez ma tante Sagan, une fois chez ma tante Radziwill, et je dois dire que je l’ai trouvé curieux. Je ne l’ai pas trouvé simple ! Mais il a quelque chose d’amusant, d’« obtenu », dit-elle en détachant le mot, comme un œillet vert, c’est-à-dire une chose qui m’étonne et ne me plaît pas infiniment, une chose qu’il est étonnant qu’on ait pu faire, mais que je trouve qu’on aurait fait aussi bien de ne pas pouvoir. J’espère que je ne vous « choque » pas ?

— L’empereur est d’une intelligence inouïe, reprit le prince, il aime passionnément les arts ; il a sur les œuvres d’art un goût en quelque sorte infaillible, il ne se trompe jamais ; si quelque chose est beau, il le reconnaît tout de suite, il le prend en haine. S’il déteste quelque chose, il n’y a aucun doute à avoir, c’est que c’est excellent. (Tout le monde sourit.)

— Vous me rassurez, dit la princesse.

— Je comparerai volontiers l’empereur, reprit le prince qui, ne sachant pas prononcer le mot archéologue (c’est-à-dire comme si c’était écrit kéologue), ne perdait jamais une occasion de s’en servir, à un vieil archéologue (et le prince dit arshéologue) que nous avons à Berlin. Devant les anciens monuments assyriens le vieil arshéologue pleure. Mais si c’est du moderne truqué, si ce n’est pas vraiment ancien, il ne pleure pas. Alors, quand on veut savoir si une pièce arshéologique est vraiment ancienne, on la porte au