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tonnerre. « Ah ! nous serons donc huit, c’est ravissant ! Comme c’est bien rédigé ! » dit-elle, ayant dans un suprême effort retrouvé l’expression dont s’était servie Mme  d’Épinay et qui s’appliquait mieux cette fois.

— Oriane, c’est très joli ce que dit la princesse, elle dit que c’est bien rédigé.

— Mais, mon ami, vous ne m’apprenez rien, je sais que la princesse est très spirituelle, répondit Mme  de Guermantes qui goûtait facilement un mot quand à la fois il était prononcé par une Altesse et louangeait son propre esprit. « Je suis très fière que Madame apprécie mes modestes rédactions. D’ailleurs, je ne me rappelle pas avoir dit cela. Et si je l’ai dit, c’était pour flatter ma cousine, car si elle avait sept bouchées, les bouches, si j’ose m’exprimer ainsi, eussent dépassé la douzaine. »

— Elle possédait tous les manuscrits de M. de Bornier, reprit, en parlant de Mme  d’Heudicourt, la princesse, qui voulait tâcher de faire valoir les bonnes raisons qu’elle pouvait avoir de se lier avec elle.

— Elle a dû le rêver, je crois qu’elle ne le connaissait même pas, dit la duchesse.

— Ce qui est surtout intéressant, c’est que ces correspondances sont de gens à la fois des divers pays, continua la comtesse d’Arpajon qui, alliée aux principales maisons ducales et même souveraines de l’Europe, était heureuse de le rappeler.

— Mais si, Oriane, dit M. de Guermantes non sans intention. Vous vous rappelez bien ce dîner où vous aviez M. de Bornier comme voisin !

— Mais, Basin, interrompit la duchesse, si vous voulez me dire que j’ai connu M. de Bornier, naturellement, il est même venu plusieurs fois pour me voir, mais je n’ai jamais pu me résoudre à l’inviter parce que j’aurais été obligée chaque fois de faire désinfecter au formol. Quant à ce dîner, je ne me le rappelle que trop bien, ce n’était pas du tout chez Zénaïde, qui n’a pas vu Bornier de sa vie et qui doit croire, si on lui