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— Mais après-demain serait assez tôt, dit M. de Grouchy.

— Non, je préfère demain, insista la duchesse.

Poullein était devenu blanc ; son rendez-vous avec sa fiancée était manqué. Cela suffisait pour la distraction de la duchesse qui tenait à ce que tout gardât un air humain.

— Je sais que c’est votre jour de sortie, dit-elle à Poullein, vous n’aurez qu’à changer avec Georges qui sortira demain et restera après-demain.

Mais le lendemain la fiancée de Poullein ne serait pas libre. Il lui était bien égal de sortir. Dès que Poullein eut quitté la pièce, chacun complimenta la duchesse de sa bonté avec ses gens.

— Mais je ne fais qu’être avec eux comme je voudrais qu’on fût avec moi.

— Justement ! ils peuvent dire qu’ils ont chez vous une bonne place.

— Pas si extraordinaire que ça. Mais je crois qu’ils m’aiment bien. Celui-là est un peu agaçant parce qu’il est amoureux, il croit devoir prendre des airs mélancoliques.

À ce moment Poullein rentra.

— En effet, dit M. de Grouchy, il n’a pas l’air d’avoir le sourire. Avec eux il faut être bon, mais pas trop bon.

— Je reconnais que je ne suis pas terrible ; dans toute sa journée il n’aura qu’à aller chercher vos faisans, à rester ici à ne rien faire et à en manger sa part.

— Beaucoup de gens voudraient être à sa place, dit M. de Grouchy, car l’envie est aveugle.

— Oriane, dit la princesse de Parme, j’ai eu l’autre jour la visite de votre cousine d’Heudicourt ; évidemment c’est une femme d’une intelligence supérieure ; c’est une Guermantes, c’est tout dire, mais on dit qu’elle est médisante…