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— Qu’est-ce que c’est encore que ça, Mme de Saint-Ferréol ? demanda-t-il sur un ton d’étonnement et de décision, car il affectait d’ignorer tout ce qui concernait le monde.

— Mais voyons, mon chéri, tu sais bien, dit sa mère, c’est la sœur de Vermandois ; c’est elle qui t’avait donné ce beau jeu de billard que tu aimais tant.

— Comment, c’est la sœur de Vermandois, je n’en avais pas la moindre idée. Ah ! ma famille est épatante, dit-il en se tournant à demi vers moi et en prenant sans s’en rendre compte les intonations de Bloch comme il empruntait ses idées, elle connaît des gens inouïs, des gens qui s’appellent plus ou moins Saint-Ferréol (et détachant la dernière consonne de chaque mot), elle va au bal, elle se promène en Victoria, elle mène une existence fabuleuse. C’est prodigieux.

Mme de Guermantes fit avec la gorge ce bruit léger, bref et fort comme d’un sourire forcé qu’on ravale, et qui était destiné à montrer qu’elle prenait part, dans la mesure où la parenté l’y obligeait, à l’esprit de son neveu. On vint annoncer que le prince de Faffenheim-Munsterburg-Weinigen faisait dire à M. de Norpois qu’il était là.

— Allez le chercher, monsieur, dit Mme de Villeparisis à l’ancien ambassadeur qui se porta au-devant du premier ministre allemand.

Mais la marquise le rappela :

— Attendez, monsieur ; faudra-t-il que je lui montre la miniature de l’Impératrice Charlotte ?

— Ah ! je crois qu’il sera ravi, dit l’Ambassadeur d’un ton pénétré et comme s’il enviait ce fortuné ministre de la faveur qui l’attendait.

— Ah ! je sais qu’il est très bien pensant, dit Mme de Marsantes, et c’est si rare parmi les étrangers. Mais je suis renseignée. C’est l’antisémitisme en personne.