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— Je vous remercie de me prévenir, répondit la duchesse. Cela me serait en effet très désagréable. Mais comme je la connais de vue je me lèverai à temps.

— Je t’assure, Oriane, elle est très agréable, c’est une excellente femme, dit Mme de Marsantes.

— Je n’en doute pas, mais je n’éprouve aucun besoin de m’en assurer par moi-même.

— Est-ce que tu es invitée chez Lady Israël ? demanda Mme de Villeparisis à la duchesse, pour changer la conversation.

— Mais, Dieu merci, je ne la connais pas, répondit Mme de Guermantes. C’est à Marie-Aynard qu’il faut demander cela. Elle la connaît et je me suis toujours demandé pourquoi.

— Je l’ai en effet connue, répondit Mme de Marsantes, je confesse mes erreurs. Mais je suis décidée à ne plus la connaître. Il paraît que c’est une des pires et qu’elle ne s’en cache pas. Du reste, nous avons tous été trop confiants, trop hospitaliers. Je ne fréquenterai plus personne de cette nation. Pendant qu’on avait de vieux cousins de province du même sang, à qui on fermait sa porte, on l’ouvrait aux Juifs. Nous voyons maintenant leur remerciement. Hélas ! je n’ai rien à dire, j’ai un fils adorable et qui débite, en jeune fou qu’il est, toutes les insanités possibles, ajouta-t-elle en entendant que M. d’Argencourt avait fait allusion à Robert. Mais, à propos de Robert, est-ce que vous ne l’avez pas vu ? demanda-t-elle à Mme de Villeparisis ; comme c’est samedi, je pensais qu’il aurait pu passer vingt-quatre heures à Paris, et dans ce cas il serait sûrement venu vous voir.

En réalité Mme de Marsantes pensait que son fils n’aurait pas de permission ; mais comme, en tout cas, elle savait que s’il en avait eu une il ne serait pas venu chez Mme de Villeparisis, elle espérait, en ayant l’air de croire qu’elle l’eût trouvé ici, lui faire pardonner,