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Bergotte, de faire la connaissance de Monsieur Elstir », soit pour faire admirer son humilité, soit par le même goût qu’avait M. de Guermantes de revenir aux formes désuètes pour protester contre les usages de mauvaise éducation actuelle où on ne se dit pas assez « honoré ». Quelle que fût celle de ces deux raisons qui fût la vraie, de toutes façons on sentait que, quand Mme  de Marsantes disait : « J’ai eu l’honneur, le grand hon-neur », elle croyait remplir un grand rôle, et montrer qu’elle savait accueillir les noms des hommes de valeur comme elle les eût reçus eux-mêmes dans son château, s’ils s’étaient trouvés dans le voisinage. D’autre part, comme sa famille était nombreuse, qu’elle l’aimait beaucoup, que, lente de débit et amie des explications, elle voulait faire comprendre les parentés, elle se trouvait (sans aucun désir d’étonner et tout en n’aimant sincèrement parler que de paysans touchants et de gardes-chasse sublimes) citer à tout instant toutes les familles médiatisées d’Europe, ce que les personnes moins brillantes ne lui pardonnaient pas et, si elles étaient un peu intellectuelles, raillaient comme de la stupidité.

À la campagne, Mme  de Marsantes était adorée pour le bien qu’elle faisait, mais surtout parce que la pureté d’un sang où depuis plusieurs générations on ne rencontrait que ce qu’il y a de plus grand dans l’histoire de France avait ôté à sa manière d’être tout ce que les gens du peuple appellent « des manières » et lui avait donné la parfaite simplicité. Elle ne craignait pas d’embrasser une pauvre femme qui était malheureuse et lui disait d’aller chercher un char de bois au château. C’était, disait-on, la parfaite chrétienne. Elle tenait à faire faire un mariage colossalement riche à Robert. Être grande dame, c’est jouer à la grande dame, c’est-à-dire, pour une part, jouer la simplicité. C’est un jeu qui coûte extrêmement cher, d’autant plus que la simplicité ne ravit qu’à la condition que