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elle s’arrêtait ; elle ne disait plus rien, mais je n’exagère pas, pendant cinq minutes.

— Oïl, oïl, oïl ! s’écria M. d’Argencourt.

— Avec toute la politesse du monde je me suis permis d’insinuer que cela étonnerait peut-être un peu. Et elle m’a répondu textuellement : « Il faut toujours dire une chose comme si on était en train de la composer soi-même. » Si vous y réfléchissez c’est monumental, cette réponse !

— Mais je croyais qu’elle ne disait pas mal les vers, dit un des deux jeunes gens.

— Elle ne se doute pas de ce que c’est, répondit Mme  de Guermantes. Du reste je n’ai pas eu besoin de l’entendre. Il m’a suffi de la voir arriver avec des lis ! J’ai tout de suite compris qu’elle n’avait pas de talent quand j’ai vu les lis !

Tout le monde rit.

— Ma tante, vous ne m’en avez pas voulu de ma plaisanterie de l’autre jour au sujet de la reine de Suède ? je viens vous demander l’aman.

— Non, je ne t’en veux pas ; je te donne même le droit de goûter si tu as faim.

— Allons, Monsieur Vallenères, faites la jeune fille, dit Mme  de Villeparisis à l’archiviste, selon une plaisanterie consacrée.

M. de Guermantes se redressa dans le fauteuil où il s’était affalé, son chapeau à côté de lui sur le tapis, examina d’un air de satisfaction les assiettes de petits fours qui lui étaient présentées.

— Mais volontiers, maintenant que je commence à être familiarisé avec cette noble assistance, j’accepterai un baba, ils semblent excellents.

— Monsieur remplit à merveille son rôle de jeune fille, dit M. d’Argencourt qui, par esprit d’imitation, reprit la plaisanterie de Mme  de Villeparisis.

L’archiviste présenta l’assiette de petits fours à l’historien de la Fronde.