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Ça ne m’a fait pas moins de chagrin que Charles l’ait épousée, parce que c’était tellement inutile.

La duchesse ne croyait pas dire quelque chose de remarquable, mais, comme M. d’Argencourt se mit à rire, elle répéta la phrase, soit qu’elle la trouvât drôle, ou seulement qu’elle trouvât gentil le rieur qu’elle se mit à regarder d’un air câlin, pour ajouter l’enchantement de la douceur à celui de l’esprit. Elle continua :

— Oui, n’est-ce pas, ce n’était pas la peine, mais enfin elle n’était pas sans charme et je comprends parfaitement qu’on l’aimât, tandis que la demoiselle de Robert, je vous assure qu’elle est à mourir de rire. Je sais bien qu’on m’objectera cette vieille rengaine d’Augier : « Qu’importe le flacon pourvu qu’on ait l’ivresse ! » Eh bien, Robert a peut-être l’ivresse, mais il n’a vraiment pas fait preuve de goût dans le choix du flacon ! D’abord, imaginez-vous qu’elle avait la prétention que je fisse dresser un escalier au beau milieu de mon salon. C’est un rien, n’est-ce pas, et elle m’avait annoncé qu’elle resterait couchée à plat ventre sur les marches. D’ailleurs, si vous aviez entendu ce qu’elle disait ! je ne connais qu’une scène, mais je ne crois pas qu’on puisse imaginer quelque chose de pareil : cela s’appelle les Sept Princesses.

— Les Sept Princesses, oh ! oïl, oïl, quel snobisme ! s’écria M. d’Argencourt. Ah ! mais attendez, je connais toute la pièce. C’est d’un de mes compatriotes. Il l’a envoyée au Roi qui n’y a rien compris et m’a demandé de lui expliquer.

— Ce n’est pas par hasard du Sar Peladan ? demanda l’historien de la Fronde avec une intention de finesse et d’actualité, mais si bas que sa question passa inaperçue.

— Ah ! vous connaissez les Sept Princesses ? répondit la duchesse à M. d’Argencourt. Tous mes