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— Monsieur l’Ambassadeur, dit Mme  de Villeparisis, je voudrais vous faire connaître Monsieur. Monsieur Bloch, Monsieur le marquis de Norpois. Elle tenait, malgré la façon dont elle rudoyait M. de Norpois, à lui dire : « Monsieur l’Ambassadeur » par savoir-vivre, par considération exagérée du rang d’ambassadeur, considération que le marquis lui avait inculquée, et enfin pour appliquer ces manières moins familières, plus cérémonieuses à l’égard d’un certain homme, lesquelles dans le salon d’une femme distinguée, tranchant avec la liberté dont elle use avec ses autres habitués, désignent aussitôt son amant.

M. de Norpois noya son regard bleu dans sa barbe blanche, abaissa profondément sa haute taille comme s’il l’inclinait devant tout ce que lui représentait de notoire et d’imposant le nom de Bloch, murmura « je suis enchanté », tandis que son jeune interlocuteur, ému mais trouvant que le célèbre diplomate allait trop loin, rectifia avec empressement et dit : « Mais pas du tout, au contraire, c’est moi qui suis enchanté ! » Mais cette cérémonie, que M. de Norpois par amitié pour Mme  de Villeparisis renouvelait avec chaque inconnu que sa vieille amie lui présentait, ne parut pas à celle-ci une politesse suffisante pour Bloch à qui elle dit :

— Mais demandez-lui tout ce que vous voulez savoir, emmenez-le à côté si cela est plus commode ; il sera enchanté de causer avec vous. Je crois que vous vouliez lui parler de l’affaire Dreyfus, ajouta-t-elle sans plus se préoccuper si cela faisait plaisir à M. de Norpois qu’elle n’eût pensé à demander leur agrément au portrait de la duchesse de Montmorency avant de le faire éclairer pour l’historien, ou au thé avant d’en offrir une tasse.

— Parlez-lui fort, dit-elle à Bloch, il est un peu sourd, mais il vous dira tout ce que vous voudrez, il