timides passent souvent ensemble à parler de banalités jusqu’au moment de se quitter, et sans que, soit timidité, pudeur, ou maladresse, le grand secret qu’ils seraient plus heureux d’avouer ait pu jamais passer de leur cœur à leurs lèvres. D’ailleurs il faut ajouter que ce silence gardé sur les choses profondes qu’on attendait toujours en vain le moment de voir aborder, s’il pouvait passer pour caractéristique de la duchesse, n’était pas chez elle absolu. Mme de Guermantes avait passé sa jeunesse dans un milieu un peu différent, aussi aristocratique, mais moins brillant et surtout moins futile que celui où elle vivait aujourd’hui, et de grande culture. Il avait laissé à sa frivolité actuelle une sorte de tuf plus solide, invisiblement nourricier et où même la duchesse allait chercher (fort rarement car elle détestait le pédantisme) quelque citation de Victor Hugo ou de Lamartine qui, fort bien appropriée, dite avec un regard senti de ses beaux yeux, ne manquait pas de surprendre et de charmer. Parfois même, sans prétentions, avec pertinence et simplicité, elle donnait à un auteur dramatique académicien quelque conseil sagace, lui faisait atténuer une situation ou changer un dénouement.
Si, dans le salon de Mme de Villeparisis, tout autant que dans l’église de Combray, au mariage de Mlle Percepied, j’avais peine à retrouver dans le beau visage, trop humain, de Mme de Guermantes, l’inconnu de son nom, je pensais du moins que, quand elle parlerait, sa causerie, profonde, mystérieuse, aurait une étrangeté de tapisserie médiévale, de vitrail gothique. Mais pour que je n’eusse pas été déçu par les paroles que j’entendrais prononcer à une personne qui s’appelait Mme de Guermantes, même si je ne l’eusse pas aimée, il n’eût pas suffi que les paroles fussent fines, belles et profondes, il eût fallu qu’elles reflétassent cette couleur amarante de la dernière syllabe de son nom, cette couleur que je m’étais dès le pre-