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criez-vous si fort ? pourquoi êtes-vous si insolent ? » Seulement tout le monde semblait bien avoir admis tacitement que c’était bien ainsi. Et on entrait dans la ronde qui lui faisait fête pendant qu’il pérorait. Mais certainement à de certains moments un étranger eût cru entendre crier un dément.

— Mais vous êtes sûr que vous ne confondez pas, que vous parlez bien de mon beau-frère Palamède ? ajouta la duchesse avec une légère impertinence qui se greffait chez elle sur la simplicité.

Je répondis que j’étais absolument sûr et qu’il fallait que M. de Charlus eût mal entendu mon nom.

— Eh bien ! je vous quitte, me dit comme à regret Mme  de Guermantes. Il faut que j’aille une seconde chez la princesse de Ligne. Vous n’y allez pas ? Non, vous n’aimez pas le monde ? Vous avez bien raison, c’est assommant. Si je n’étais pas obligée ! Mais c’est ma cousine, ce ne serait pas gentil. Je regrette égoïstement, pour moi, parce que j’aurais pu vous conduire, même vous ramener. Alors je vous dis au revoir et je me réjouis pour mercredi.

Que M. de Charlus eût rougi de moi devant M. d’Argencourt, passe encore. Mais qu’à sa propre belle-sœur, et qui avait une si haute idée de lui, il niât me connaître, fait si naturel puisque je connaissais à la fois sa tante et son neveu, c’est ce que je ne pouvais comprendre.

Je terminerai ceci en disant qu’à un certain point de vue il y avait chez Mme  de Guermantes une véritable grandeur qui consistait à effacer entièrement tout ce que d’autres n’eussent qu’incomplètement oublié. Elle ne m’eût jamais rencontré la harcelant, la suivant, la pistant, dans ses promenades matinales, elle n’eût jamais répondu à mon salut quotidien avec une impatience excédée, elle n’eût jamais envoyé promener Saint-Loup quand il l’avait suppliée de m’inviter, qu’elle n’aurait pas pu avoir avec moi des façons plus noblement et naturellement aimables. Non seulement