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rante que je me demandai si ce n’était pas le mari ou la femme adultères, qui l’étaient seulement parce que le bonheur légitime leur avait été refusé, et se montraient charmants et loyaux envers tout autre que leur femme ou leur mari, qui avaient raison. Bientôt je n’avais même plus eu la raison d’être utile à Jupien pour continuer mes pérégrinations matinales. Car on apprit que l’ébéniste de notre cour, dont les ateliers n’étaient séparés de la boutique de Jupien que par une cloison fort mince, allait recevoir congé du gérant parce qu’il frappait des coups trop bruyants. Jupien ne pouvait espérer mieux, les ateliers avaient un sous-sol où mettre les boiseries, et qui communiquait avec nos caves. Jupien y mettrait son charbon, ferait abattre la cloison et aurait une seule et vaste boutique. Mais même sans l’amusement de chercher pour lui, j’avais continué à sortir avant déjeuner. Même comme Jupien, trouvant le prix que M. de Guermantes faisait très élevé, laissait visiter pour que, découragé de ne pas trouver de locataire, le duc se résignât à lui faire une diminution, Françoise, ayant remarqué que, même après l’heure où on ne visitait pas, le concierge laissait « contre » la porte de la boutique à louer, flaira un piège dressé par le concierge pour attirer la fiancée du valet de pied des Guermantes (ils y trouveraient une retraite d’amour), et ensuite les surprendre.

Quoi qu’il en fût, bien que n’ayant plus à chercher une boutique pour Jupien, je continuai à sortir avant le déjeuner. Souvent, dans ces sorties, je rencontrais M. de Norpois. Il arrivait que, causant avec un collègue, il jetait sur moi des regards qui, après m’avoir entièrement examiné, se détournaient vers son interlocuteur sans m’avoir plus souri ni salué que s’il ne m’avait pas connu du tout. Car chez ces importants diplomates, regarder d’une certaine manière n’a pas pour but de vous faire savoir qu’ils vous ont vu, mais qu’ils ne vous ont pas vu et qu’ils ont à parler avec