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appris qu’il n’était pas possible de la toucher, de l’embrasser, qu’on pouvait seulement causer avec elle, que pour moi elle n’était pas plus une femme que des raisins de jade, décoration incomestible des tables d’autrefois, ne sont des raisins. Et voici que dans un troisième plan elle m’apparaissait, réelle comme dans la seconde connaissance que j’avais eue d’elle, mais facile comme dans la première ; facile, et d’autant plus délicieusement que j’avais cru si longtemps qu’elle ne l’était pas. Mon surplus de science sur la vie (sur la vie moins unie, moins simple que je ne l’avais cru d’abord) aboutissait provisoirement à l’agnosticisme. Que peut-on affirmer, puisque ce qu’on avait cru probable d’abord s’est montré faux ensuite, et se trouve en troisième lieu être vrai ? Et hélas, je n’étais pas au bout de mes découvertes avec Albertine. En tout cas, même s’il n’y avait pas eu l’attrait romanesque de cet enseignement d’une plus grande richesse de plans découverts l’un après l’autre par la vie (cet attrait inverse de celui que Saint-Loup goûtait, pendant les dîners de Rivebelle, à retrouver, parmi les masques que l’existence avait superposés dans une calme figure, des traits qu’il avait jadis tenus sous ses lèvres), savoir qu’embrasser les joues d’Albertine était une chose possible, c’était un plaisir peut-être plus grand encore que celui de les embrasser. Quelle différence entre posséder une femme sur laquelle notre corps seul s’applique parce qu’elle n’est qu’un morceau de chair, ou posséder la jeune fille qu’on apercevait sur la plage avec ses amies, certains jours, sans même savoir pourquoi ces jours-là plutôt que tels autres, ce qui faisait qu’on tremblait de ne pas la revoir. La vie vous avait complaisamment révélé tout au long le roman de cette petite fille, vous avait prêté pour la voir un instrument d’optique, puis un autre, et ajouté au désir charnel un accompagnement, qui le centuple et le diversifie, de ces désirs