mer. Je ne sais trop si c’était le désir de Balbec ou d’elle qui s’emparait de moi alors, peut-être le désir d’elle étant lui-même une forme paresseuse, lâche et incomplète de posséder Balbec, comme si posséder matériellement une chose, faire sa résidence d’une ville, équivalait à la posséder spirituellement. Et d’ailleurs, même matériellement, quand elle était non plus balancée par mon imagination devant l’horizon marin, mais immobile auprès de moi, elle me semblait souvent une bien pauvre rose devant laquelle j’aurais bien voulu fermer les yeux pour ne pas voir tel défaut des pétales et pour croire que je respirais sur la plage.
Je peux le dire ici, bien que je ne susse pas alors ce qui ne devait arriver que dans la suite. Certes, il est plus raisonnable de sacrifier sa vie aux femmes qu’aux timbres-poste, aux vieilles tabatières, même aux tableaux et aux statues. Seulement l’exemple des autres collections devrait nous avertir de changer, de n’avoir pas une seule femme, mais beaucoup. Ces mélanges charmants qu’une jeune fille fait avec une plage, avec la chevelure tressée d’une statue d’église, avec une estampe, avec tout ce à cause de quoi on aime en l’une d’elles, chaque fois qu’elle entre, un tableau charmant, ces mélanges ne sont pas très stables. Vivez tout à fait avec la femme et vous ne verrez plus rien de ce qui vous l’a fait aimer ; certes les deux éléments désunis, la jalousie peut à nouveau les rejoindre. Si après un long temps de vie commune je devais finir par ne plus voir en Albertine qu’une femme ordinaire, quelque intrigue d’elle avec un être qu’elle eût aimé à Balbec eût peut-être suffi pour réincorporer en elle et amalgamer la plage et le déferlement du flot. Seulement ces mélanges secondaires ne ravissant plus nos yeux, c’est à notre cœur qu’ils sont sensibles et funestes. On ne peut sous une forme si dangereuse trouver souhaitable le renouvellement