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pas, pour qu’il pût — bien rarement — parler, de sorte qu’on aurait pu en somme trouver un signe qu’il fût ému de notre chagrin ou prît plaisir à se trouver avec moi, si l’on avait voulu induire quelque chose d’une telle assiduité. Elle n’était pas indifférente à ma mère, sensible à tout ce qui pouvait être considéré comme un hommage à sa malade. Et tous les jours elle me disait : « Surtout n’oublie pas de bien le remercier. »

Nous eûmes — discrète attention de femme, comme le goûter que nous sert entre deux séances de pose la compagne d’un peintre, — supplément à titre gracieux de celles que nous faisait son mari, la visite de Mme  Cottard. Elle venait nous offrir sa « camériste », si nous aimions le service d’un homme, allait se « mettre en campagne » et mieux, devant nos refus, nous dit qu’elle espérait du moins que ce n’était pas là de notre part une « défaite », mot qui dans son monde signifie un faux prétexte pour ne pas accepter une invitation. Elle nous assura que le professeur, qui ne parlait jamais chez lui de ses malades, était aussi triste que s’il s’était agi d’elle-même. On verra plus tard que même si cela eût été vrai, cela eût été à la fois bien peu et beaucoup, de la part du plus infidèle et plus reconnaissant des maris.

Des offres aussi utiles, et infiniment plus touchantes par la manière (qui était un mélange de la plus haute intelligence, du plus grand cœur, et d’un rare bonheur d’expression), me furent adressées par le grand-duc héritier de Luxembourg. Je l’avais connu à Balbec où il était venu voir une de ses tantes, la princesse de Luxembourg, alors qu’il n’était encore que comte de Nassau. Il avait épousé quelques mois après la ravissante fille d’une autre princesse de Luxembourg, excessivement riche parce qu’elle était la fille unique d’un prince à qui appartenait une immense affaire de farines. Sur quoi le grand-duc de Luxembourg,