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— Vous devez partir avec mon neveu Palamède ? me dit-elle.

Pensant que cela pouvait produire une impression très favorable sur Mme  de Villeparisis que je fusse lié avec un neveu qu’elle prisait si fort : « Il m’a demandé de revenir avec lui, répondis-je avec joie. J’en suis enchanté. Du reste nous sommes plus amis que vous ne croyez, Madame, et je suis décidé à tout pour que nous le soyons davantage. »

De contrariée, Mme  de Villeparisis sembla devenue soucieuse : « Ne l’attendez pas, me dit-elle d’un air préoccupé, il cause avec M. de Faffenheim. Il ne pense déjà plus à ce qu’il vous a dit. Tenez, partez, profitez vite pendant qu’il a le dos tourné. »

Ce premier émoi de Mme  de Villeparisis eût ressemblé, n’eussent été les circonstances, à celui de la pudeur. Son insistance, son opposition auraient pu, si l’on n’avait consulté que son visage, paraître dictées par la vertu. Je n’étais, pour ma part, guère pressé d’aller retrouver Robert et sa maîtresse. Mais Mme  de Villeparisis semblait tenir tant à ce que je partisse que, pensant peut-être qu’elle avait à causer d’affaire importante avec son neveu, je lui dis au revoir. À côté d’elle M. de Guermantes, superbe et olympien, était lourdement assis. On aurait dit que la notion omniprésente en tous ses membres de ses grandes richesses lui donnait une densité particulièrement élevée, comme si elles avaient été fondues au creuset en un seul lingot humain, pour faire cet homme qui valait si cher. Au moment où je lui dis au revoir, il se leva poliment de son siège et je sentis la masse inerte de trente millions que la vieille éducation française faisait mouvoir, soulevait, et qui se tenait debout devant moi. Il me semblait voir cette statue de Jupiter Olympien que Phidias, dit-on, avait fondue tout en or. Telle était la puissance que la bonne éducation avait sur M. de Guermantes, sur le corps de