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la crainte qu’elle avait de faire fâcher ce fils qu’elle n’avait pas encore vu aujourd’hui, avec qui elle était impatiente de se trouver seule, et sur lequel elle croyait donc que l’empire qu’elle exerçait n’égalait pas et devait ménager le mien. M’ayant entendu auparavant demander à Bloch des nouvelles de M. Nissim Bernard, son oncle, Mme  de Marsantes s’informa si c’était celui qui avait habité Nice.

— Dans ce cas, il y a connu M. de Marsantes avant qu’il m’épousât, avait répondu Mme  de Marsantes. Mon mari m’en a souvent parlé comme d’un homme excellent, d’un cœur délicat et généreux.

« Dire que pour une fois il n’avait pas menti, c’est incroyable », eût pensé Bloch.

Tout le temps j’aurais voulu dire à Mme  de Marsantes que Robert avait pour elle infiniment plus d’affection que pour moi, et que, m’eût-elle témoigné de l’hostilité, je n’étais pas d’une nature à chercher à le prévenir contre elle, à le détacher d’elle. Mais depuis que Mme  de Guermantes était partie, j’étais plus libre d’observer Robert, et je m’aperçus seulement alors que de nouveau une sorte de colère semblait s’être élevée en lui, affleurant à son visage durci et sombre. Je craignais qu’au souvenir de la scène de l’après-midi il ne fût humilié vis-à-vis de moi de s’être laissé traiter si durement par sa maîtresse, sans riposter.

Brusquement il s’arracha d’auprès de sa mère qui lui avait passé un bras autour du cou, et venant à moi m’entraîna derrière le petit comptoir fleuri de Mme  de Villeparisis, où celle-ci s’était rassise, puis me fit signe de le suivre dans le petit salon. Je m’y dirigeais assez vivement quand M. de Charlus, qui avait pu croire que j’allais vers la sortie, quitta brusquement M. de Faffenheim avec qui il causait, fit un tour rapide qui l’amena en face de moi. Je vis avec inquiétude qu’il avait pris le chapeau au fond duquel il y