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Soit indépendance, soit fatigue, M. de Norpois se contenta de répondre par un salut plein de respect mais vide de signification.

— Monsieur, lui dit Mme de Villeparisis en riant, il y a des gens bien ridicules. Croyez-vous que j’ai eu aujourd’hui la visite d’un monsieur qui a voulu me faire croire qu’il avait plus de plaisir à embrasser ma main que celle d’une jeune femme ?

Je compris tout de suite que c’était Legrandin. M. de Norpois sourit avec un léger clignement d’œil, comme s’il s’agissait d’une concupiscence si naturelle qu’on ne pouvait en vouloir à celui qui l’éprouvait, presque d’un commencement de roman qu’il était prêt à absoudre, voire à encourager, avec une indulgence perverse à la Voisenon ou à la Crébillon fils.

— Bien des mains de jeunes femmes seraient incapables de faire ce que j’ai vu là, dit le prince en montrant les aquarelles commencées de Mme de Villeparisis.

Et il lui demanda si elle avait vu les fleurs de Fantin-Latour qui venaient d’être exposées.

— Elles sont de premier ordre et, comme on dit aujourd’hui, d’un beau peintre, d’un des maîtres de la palette, déclara M. de Norpois ; je trouve cependant qu’elles ne peuvent pas soutenir la comparaison avec celles de Mme de Villeparisis où je reconnais mieux le coloris de la fleur.

Même en supposant que la partialité de vieil amant, l’habitude de flatter, les opinions admises dans une coterie, dictassent ces paroles à l’ancien ambassadeur, celles-ci prouvaient pourtant sur quel néant de goût véritable repose le jugement artistique des gens du monde, si arbitraire qu’un rien peut le faire aller aux pires absurdités, sur le chemin desquelles il ne rencontre pour l’arrêter aucune impression vraiment sentie.

— Je n’ai aucun mérite à connaître les fleurs, j’ai toujours vécu aux champs, répondit modestement