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« J’ai compris que j’avais fait fausse route. » Car dès qu’il avait recommencé à parler Institut, M. de Norpois lui avait redit :

— J’aimerais cela beaucoup, beaucoup pour mes collègues. Ils doivent, je pense, se sentir vraiment honorés que vous ayez pensé à eux. C’est une candidature tout à fait intéressante, un peu en dehors de nos habitudes. Vous savez, l’Académie est très routinière, elle s’effraye de tout ce qui rend un son un peu nouveau. Personnellement je l’en blâme. Que de fois il m’est arrivé de le laisser entendre à mes collègues. Je ne sais même pas, Dieu me pardonne, si le mot d’encroûtés n’est pas sorti une fois de mes lèvres, avait-il ajouté avec un sourire scandalisé, à mi-voix, presque a parte, comme dans un effet de théâtre et en jetant sur le prince un coup d’œil rapide et oblique de son œil bleu, comme un vieil acteur qui veut juger de son effet. Vous comprenez, prince, que je ne voudrais pas laisser une personnalité aussi éminente que la vôtre s’embarquer dans une partie perdue d’avance. Tant que les idées de mes collègues resteront aussi arriérées, j’estime que la sagesse est de s’abstenir. Croyez bien d’ailleurs que si je voyais jamais un esprit un peu plus nouveau, un peu plus vivant, se dessiner dans ce collège qui tend à devenir une nécropole, si j’escomptais une chance possible pour vous, je serais le premier à vous en avertir.

« Le cordon de Saint-André est une erreur, pensa le prince ; les négociations n’ont pas fait un pas ; ce n’est pas cela qu’il voulait. Je n’ai pas mis la main sur la bonne clef. »

C’était un genre de raisonnement dont M. de Norpois, formé à la même école que le prince, eût été capable. On peut railler la pédantesque niaiserie avec laquelle les diplomates à la Norpois s’extasient devant une parole officielle à peu près insignifiante. Mais leur enfantillage a sa contre-partie : les diplomates savent