Mme de Guermantes, visages occupant une étendue relative et variée, tantôt étroite, tantôt vaste, dans l’ensemble de sa toilette, mon amour n’était pas attaché à telle ou telle de ces parties changeantes de chair et d’étoffe qui prenaient, selon les jours, la place des autres et qu’elle pouvait modifier et renouveler presque entièrement sans altérer mon trouble parce qu’à travers elles, à travers le nouveau collet la joue inconnue, je sentais que c’était toujours Mme de Guermantes. Ce que j’aimais, c’était la personne invisible qui mettait en mouvement tout cela, c’était elle, dont l’hostilité me chagrinait, dont l’approche me bouleversait, dont j’eusse voulu capter la vie et chasser les amis. Elle pouvait arborer une plume bleue ou montrer un teint de feu, sans que ses actions perdissent pour moi de leur importance.
Je n’aurais pas senti moi-même que Mme de Guermantes était excédée de me rencontrer tous les jours que je l’aurais indirectement appris du visage plein de froideur, de réprobation et de pitié qui était celui de Françoise quand elle m’aidait à m’apprêter pour ces sorties matinales. Dès que je lui demandais mes affaires, je sentais s’élever un vent contraire dans les traits rétractés et battus de sa figure. Je n’essayais même pas de gagner la confiance de Françoise, je sentais que je n’y arriverais pas. Elle avait, pour savoir immédiatement tout ce qui pouvait nous arriver, à mes parents et à moi, de désagréable, un pouvoir dont la nature m’est toujours restée obscure. Peut-être n’était-il pas surnaturel et aurait-il pu s’expliquer par des moyens d’informations qui lui étaient spéciaux ; c’est ainsi que des peuplades sauvages apprennent certaines nouvelles plusieurs jours avant que la poste les ait apportées à la colonie européenne, et qui leur ont été en réalité transmises, non par télépathie, mais de colline en colline à l’aide de feux allumés. Ainsi dans le cas particulier de mes prome-