Page:Proust - À la recherche du temps perdu édition 1919 tome 6.djvu/35

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qu’on n’y voyait ni gibet seigneurial, ni moulin fortifié, ni sauvoir, ni colombier à piliers, ni four banal, ni grange à nef, ni châtelet, ni ponts fixes ou levis, voire volants, non plus que péages, ni aiguilles, chartes, murales ou montjoies. Mais comme Elstir, quand la baie de Balbec ayant perdu son mystère, étant devenue pour moi une partie quelconque interchangeable avec toute autre des quantités d’eau salée qu’il y a sur le globe, lui avait tout d’un coup rendu une individualité en me disant que c’était le golfe d’opale de Whistler dans ses harmonies bleu argent, ainsi le nom de Guermantes avait vu mourir sous les coups de Françoise la dernière demeure issue de lui, quand un vieil ami de mon père nous dit un jour en parlant de la duchesse : « Elle a la plus grande situation dans le faubourg Saint-Germain, elle a la première maison du faubourg Saint-Germain. » Sans doute le premier salon, la première maison du faubourg Saint-Germain, c’était bien peu de chose auprès des autres demeures que j’avais successivement rêvées. Mais enfin celle-ci encore, et ce devait être la dernière, avait quelque chose, si humble ce fût-il, qui était, au delà de sa propre matière, une différenciation secrète.

Et cela m’était d’autant plus nécessaire de pouvoir chercher dans le « salon » de Mme de Guermantes, dans ses amis, le mystère de son nom, que je ne le trouvais pas dans sa personne quand je la voyais sortir le matin à pied ou l’après-midi en voiture. Certes déjà, dans l’église de Combray, elle m’était apparue dans l’éclair d’une métamorphose avec des joues irréductibles, impénétrables à la couleur du nom de Guermantes, et des après-midi au bord de la Vivonne, à la place de mon rêve foudroyé, comme un cygne ou un saule en lequel a été changé un Dieu ou une nymphe et qui désormais soumis aux lois de la nature glissera dans l’eau ou sera agité par le vent. Pourtant