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encore compris que les plus cruels de nos adversaires ne sont pas ceux qui nous contredisent et essayent de nous persuader, mais ceux qui grossissent ou inventent les nouvelles qui peuvent nous désoler, en se gardant bien de leur donner une apparence de justification qui diminuerait notre peine et nous donnerait peut-être une légère estime pour un parti qu’ils tiennent à nous montrer, pour notre complet supplice, à la fois atroce et triomphant.

« La duchesse doit être alliancée avec tout ça, dit Françoise en reprenant la conversation aux Guermantes de la rue de la Chaise, comme on recommence un morceau à l’andante. Je ne sais plus qui m’a dit qu’un de ceux-là avait marié une cousine au Duc. En tout cas c’est de la même « parenthèse ». C’est une grande famille que les Guermantes ! » ajoutait-elle avec respect, fondant la grandeur de cette famille à la fois sur le nombre de ses membres et l’éclair de son illustration, comme Pascal la vérité de la Religion sur la Raison et l’autorité des Écritures. Car n’ayant que ce seul mot de « grand » pour les deux choses, il lui semblait qu’elles n’en formaient qu’une seule, son vocabulaire, comme certaines pierres, présentant ainsi par endroit un défaut et qui projetait de l’obscurité jusque dans la pensée de Françoise.

« Je me demande si ce serait pas euss qui ont leur château à Guermantes, à dix lieues de Combray, alors ça doit être parent aussi à leur cousine d’Alger. (Nous nous demandâmes longtemps ma mère et moi qui pouvait être cette cousine d’Alger, mais nous comprîmes enfin que Françoise entendait par le nom d’Alger la ville d’Angers. Ce qui est lointain peut nous être plus connu que ce qui est proche. Françoise, qui savait le nom d’Alger à cause d’affreuses dattes que nous recevions au jour de l’an, ignorait celui d’Angers. Son langage, comme la langue française elle-même, et surtout la toponymie, était parsemé d’erreurs.) Je