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…Mais j’aime mieux la polenta
…Passe dans son domino noir
La Toppatelle.


et de toutes les « Nuits » ne retient que :


Au Havre, devant l’Atlantique,
À Venise, à l’affreux Lido,
Où vient sur l’herbe d’un tombeau
Mourir la pâle Adriatique.


Or, de quelqu’un qu’on admire de confiance, on recueille, on cite avec admiration, des choses très inférieures à celles que livré à son propre génie on refuserait avec sévérité, de même qu’un écrivain utilise dans un roman, sous prétexte qu’ils sont vrais, des « mots », des personnages, qui dans l’ensemble vivant font au contraire poids mort, partie médiocre. Les portraits de Saint-Simon écrits par lui sans qu’il s’admire sans doute, sont admirables, les traits qu’il cite comme charmants de gens d’esprit qu’il a connus sont restés médiocres ou devenus incompréhensibles. Il eût dédaigné d’inventer ce qu’il rapporte comme si fin ou si coloré de Mme Cornuel ou de Louis XIV, fait qui du reste est à noter chez bien d’autres et comporte diverses interprétations dont il suffit en ce moment de retenir celle-ci : c’est que dans l’état d’esprit où l’on « observe », on est très au-dessous du niveau où l’on se trouve quand on crée.

Il y avait donc, enclavé en mon camarade Bloch, un père Bloch, qui retardait de quarante ans sur son fils, débitait des anecdotes saugrenues, et en riait autant au fond de mon ami que ne faisait le père Bloch extérieur et véritable, puisque au rire que ce dernier lâchait non sans répéter deux ou trois fois le dernier mot, pour que son public goûtât bien l’histoire, s’ajoutait le rire bruyant par lequel le fils ne manquait pas à table de saluer les histoires de son père. C’est ainsi qu’après avoir dit les choses les plus intelligentes, Bloch jeune,