raisin, ne sont pas une simple parure de la campagne, mais des aliments délicieux et assimilables. Même si son geôlier ou son garde-malade ne lui permettent pas de cueillir ces beaux fruits, le monde cependant lui paraît meilleur et l’existence plus clémente. Car un désir nous semble plus beau, nous nous appuyons à lui avec plus de confiance quand nous savons qu’en dehors de nous la réalité s’y conforme, même si pour nous il n’est pas réalisable. Et nous pensons avec plus de joie à une vie où, à condition que nous écartions pour un instant de notre pensée le petit obstacle accidentel et particulier qui nous empêche personnellement de le faire, nous pouvons nous imaginer l’assouvissant. Pour les belles filles qui passaient, du jour où j’avais su que leurs joues pouvaient être embrassées, j’étais devenu curieux de leur âme. Et l’univers m’avait paru plus intéressant.
La voiture de Mme de Villeparisis allait vite. À peine avais-je le temps de voir la fillette qui venait dans notre direction ; et pourtant — comme la beauté des êtres n’est pas comme celle des choses, et que nous sentons qu’elle est celle d’une créature unique, consciente et volontaire — dès que son individualité, âme vague, volonté inconnue de moi, se peignait en une petite image prodigieusement réduite, mais complète, au fond de son regard distrait, aussitôt, mystérieuse réplique des pollens tout préparés pour les pistils, je sentais saillir en moi l’embryon aussi vague, aussi minuscule, du désir de ne pas laisser passer cette fille sans que sa pensée prît conscience de ma personne, sans que j’empêchasse ses désirs d’aller à quelqu’un d’autre, sans que je vinsse me fixer dans sa rêverie et saisir son cœur. Cependant notre voiture s’éloignait, la belle fille était déjà derrière nous, et comme elle ne possédait de moi aucune des notions qui constituent une personne, ses yeux, qui m’avaient à peine vu, m’avaient déjà oublié. Était-ce parce que je ne