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appelé un « baby ». Enfin, nous ayant quittés tous trois, la Princesse reprit sa promenade sur la digue ensoleillée en incurvant sa taille magnifique qui comme un serpent autour d’une baguette s’enlaçait à l’ombrelle blanche imprimée de bleu que Mme  de Luxembourg tenait fermée à la main. C’était ma première altesse, je dis la première, car la princesse Mathilde n’était pas altesse du tout de façons. La seconde, on le verra plus tard, ne devait pas moins m’étonner par sa bonne grâce. Une forme de l’amabilité des grands seigneurs, intermédiaires bénévoles entre les souverains et les bourgeois, me fut apprise le lendemain quand Mme  de Villeparisis nous dit : « Elle vous a trouvés charmants. C’est une femme d’un grand jugement, de beaucoup de cœur. Elle n’est pas comme tant de souveraines ou d’altesses. Elle a une vraie valeur. » Et Mme  de Villeparisis ajouta d’un air convaincu, et toute ravie de pouvoir nous le dire : « Je crois qu’elle serait enchantée de vous revoir. »

Mais ce matin-là même, en quittant la princesse de Luxembourg, Mme  de Villeparisis me dit une chose qui me frappa davantage et qui n’était pas du domaine de l’amabilité.

— Est-ce que vous êtes le fils du directeur au Ministère ? me demanda-t-elle. Ah ! il paraît que votre père est un homme charmant. Il fait un bien beau voyage en ce moment.

Quelques jours auparavant nous avions appris par une lettre de Maman que mon père et son compagnon M. de Norpois avaient perdu leurs bagages.

— Ils sont retrouvés, ou plutôt ils n’ont jamais été perdus, voici ce qui était arrivé, nous dit Mme  de Villeparisis, qui, sans que nous sussions comment, avait l’air beaucoup plus renseigné que nous sur les détails du voyage. Je crois que votre père avancera son retour à la semaine prochaine car il renoncera probablement à aller à Algésiras. Mais il a envie de