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— Mais, Madame, il faut pouvoir. Probablement vous n’êtes pas nerveuse. Moi quand je vois la femme du ministre de la Guerre faire des grimaces, immédiatement je me mets à l’imiter. C’est terrible d’avoir un tempérament comme ça.

— Ah ! oui, dit Mme Cottard, j’ai entendu dire qu’elle avait des tics, mon mari connaît aussi quelqu’un de très haut placé et naturellement, quand ces Messieurs causent entre eux…

— Mais tenez, Madame, c’est encore comme le chef du Protocole qui est bossu, c’est réglé, il n’est pas depuis cinq minutes chez moi que je vais toucher sa bosse. Mon mari dit que je le ferai révoquer. Eh bien ! zut pour le ministère ! Oui, zut pour le ministère ! je voulais faire mettre ça comme devise sur mon papier à lettres. Je suis sûre que je vous scandalise parce que vous êtes bonne, moi j’avoue que rien ne m’amuse comme les petites méchancetés. Sans cela la vie serait bien monotone.

Et elle continuait à parler tout le temps du ministère comme si ç’avait été l’Olympe. Pour changer la conversation Mme Swann se tournait vers Mme Cottard :

— Mais vous me semblez bien belle ? Redfern fecit ?

— Non, vous savez que je suis une fervente de Raudnitz. Du reste c’est un retapage.

— Eh bien ! cela a un chic !

— Combien croyez-vous ?… Non, changez le premier chiffre.

— Comment, mais c’est pour rien, c’est donné. On m’avait dit trois fois autant.

— Voilà comme on écrit l’Histoire, concluait la femme du docteur. Et montrant à Mme Swann un tour de cou dont celle-ci lui avait fait présent :

— Regardez, Odette. Vous reconnaissez ?

Dans l’entre-bâillement d’une tenture une tête se montrait cérémonieusement déférente, feignant par