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humaine, ils m’invitaient, ces chrysanthèmes, et malgré toute ma tristesse, à goûter avidement pendant cette heure du thé les plaisirs si courts de novembre dont ils faisaient flamber près de moi la splendeur intime et mystérieuse. Hélas, ce n’était pas dans les conversations que j’entendais que je pouvais l’atteindre ; elles lui ressemblaient bien peu. Même avec Mme  Cottard et quoique l’heure fût avancée, Mme  Swann se faisait caressante pour dire : « Mais non, il n’est pas tard, ne regardez pas la pendule, ce n’est pas l’heure, elle ne va pas ; qu’est-ce que vous pouvez avoir de si pressé à faire » ; et elle offrait une tartelette de plus à la femme du professeur qui gardait son porte-cartes à la main.

— On ne peut pas s’en aller de cette maison, disait Mme  Bontemps à Mme  Swann tandis que Mme  Cottard, dans sa surprise d’entendre exprimer sa propre impression, s’écriait : « C’est ce que je me dis toujours, avec ma petite jugeotte, dans mon for intérieur ! », approuvée par des Messieurs du Jockey qui s’étaient confondus en saluts, et comme comblés par tant d’honneur, quand Mme  Swann les avait présentés à cette petite bourgeoise peu aimable, qui restait devant les brillants amis d’Odette sur la réserve sinon sur ce qu’elle appelait la « défensive », car elle employait toujours un langage noble pour les choses les plus simples. « On ne le dirait pas, voilà trois mercredis que vous me faites faux bond », disait Mme  Swann à Mme  Cottard. « C’est vrai, Odette, il y a des siècles, des éternités que je ne vous ai vue. Vous voyez que je plaide coupable, mais il faut vous dire, ajoutait-elle d’un air pudibond et vague, car quoique femme de médecin elle n’aurait pas osé parler sans périphrases de rhumatismes ou de coliques néphrétiques, que j’ai eu bien des petites misères. Chacun a les siennes. Et puis j’ai eu une crise dans ma domesticité mâle. Sans être plus qu’une autre très imbue de mon autorité, j’ai dû, pour faire un exemple, renvoyer mon Vatel