dans les avenues en attendant midi vingt-sept. J’apercevais de loin, dans le jardinet des Swann, le soleil qui faisait étinceler comme du givre les arbres dénudés. Il est vrai que ce jardinet n’en possédait que deux. L’heure indue faisait nouveau le spectacle. À ces plaisirs de nature (qu’avivait la suppression de l’habitude, et même la faim), la perspective émotionnante de déjeuner chez Mme Swann se mêlait, elle ne les diminuait pas, mais les dominant les asservissait, en faisait des accessoires mondains ; de sorte que si, à cette heure où d’ordinaire je ne les percevais pas, il me semblait découvrir le beau temps, le froid, la lumière hivernale, c’était comme une sorte de préface aux œufs à la crème, comme une patine, un rose et frais glacis ajoutés au revêtement de cette chapelle mystérieuse qu’était la demeure de Mme Swann et au cœur de laquelle il y avait au contraire tant de chaleur, de parfums et de fleurs.
À midi et demi, je me décidais enfin à entrer dans cette maison qui, comme un gros soulier de Noël, me semblait devoir m’apporter de surnaturels plaisirs. (Le nom de Noël était du reste inconnu à Mme Swann et à Gilberte qui l’avaient remplacé par celui de Christmas, et ne parlaient que du pudding de Christmas, de ce qu’on leur avait donné pour leur Christmas, de s’absenter — ce qui me rendait fou de douleur — pour Christmas. Même à la maison, je me serais cru déshonoré en parlant de Noël et je ne disais plus que Christmas, ce que mon père trouvait extrêmement ridicule.)
Je ne rencontrais d’abord qu’un valet de pied qui, après m’avoir fait traverser plusieurs grands salons, m’introduisait dans un tout petit, vide, que commençait déjà à faire rêver l’après-midi bleu de ses fenêtres ; je restais seul en compagnie d’orchidées, de roses et de violettes qui — pareilles à des personnes qui attendent à côté de vous mais ne vous connaissent pas — gardaient un silence que leur individualité de choses