faisait maintenant une application seulement plus durable) d’échanger sa situation mondaine contre une autre qui dans certaines circonstances lui convenait mieux. Il n’y a que les gens incapables de décomposer, dans leur perception, ce qui au premier abord paraît indivisible, qui croient que la situation fait corps avec la personne. Un même être, pris à des moments successifs de sa vie, baigne à différents degrés de l’échelle sociale dans des milieux qui ne sont pas forcément de plus en plus élevés ; et chaque fois que dans une période autre de l’existence, nous nouons, ou renouons, des liens avec un certain milieu, que nous nous y sentons choyés, nous commençons tout naturellement à nous y attacher en y poussant d’humaines racines.
Pour ce qui concerne Mme Bontemps, je crois aussi que Swann en parlant d’elle avec cette insistance n’était pas fâché de penser que mes parents apprendraient qu’elle venait voir sa femme. À vrai dire, à la maison, le nom des personnes que celle-ci arrivait peu à peu à connaître piquait plus la curiosité qu’il n’excitait d’admiration. Au nom de Mme Trombert, ma mère disait :
— Ah ! mais voilà une nouvelle recrue et qui lui en amènera d’autres.
Et comme si elle eût comparé la façon un peu sommaire, rapide et violente dont Mme Swann conquérait ses relations à une guerre coloniale, maman ajoutait :
— Maintenant que les Trombert sont soumis, les tribus voisines ne tarderont pas à se rendre.
Quand elle croisait dans la rue Mme Swann, elle nous disait en rentrant :
— J’ai aperçu Mme Swann sur son pied de guerre, elle devait partir pour quelque offensive fructueuse chez les Masséchutos, les Cynghalais ou les Trombert.
Et toutes les personnes nouvelles que je lui disais avoir vues dans ce milieu un peu composite et artificiel où elles avaient souvent été amenées assez diffi-