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allemand, vous avez même non loin d’ici, sur une hauteur, la jolie ville de Falaise), elle voisine les flèches de l’église, située en réalité à une grande distance, et a l’air de les refléter. — Je crois bien, dis-je, c’est un effet qu’Elstir aime beaucoup. J’en ai vu plusieurs esquisses chez lui. — Elstir ! Vous connaissez Tiche ? s’écria Mme Verdurin. Mais vous savez que je l’ai connu dans la dernière intimité. Grâce au ciel je ne le vois plus. Non, mais demandez à Cottard, à Brichot, il avait son couvert mis chez moi, il venait tous les jours. En voilà un dont on peut dire que ça ne lui a pas réussi de quitter notre petit noyau. Je vous montrerai tout à l’heure des fleurs qu’il a peintes pour moi ; vous verrez quelle différence avec ce qu’il fait aujourd’hui et que je n’aime pas du tout, mais pas du tout ! Mais comment ! je lui avais fait faire un portrait de Cottard, sans compter tout ce qu’il a fait d’après moi. — Et il avait fait au professeur des cheveux mauves, dit Mme Cottard, oubliant qu’alors son mari n’était pas agrégé. Je ne sais, Monsieur, si vous trouvez que mon mari a des cheveux mauves. — Ça ne fait rien, dit Mme Verdurin en levant le menton d’un air de dédain pour Mme Cottard et d’admiration pour celui dont elle parlait, c’était d’un fier coloriste, d’un beau peintre. Tandis que, ajouta-t-elle en s’adressant de nouveau à moi, je ne sais pas si vous appelez cela de la peinture, toutes ces grandes diablesses de compositions, ces grandes machines qu’il expose depuis qu’il ne vient plus chez moi. Moi, j’appelle cela du barbouillé, c’est d’un poncif, et puis ça manque de relief, de personnalité. Il y a de tout le monde là dedans. — Il restitue la grâce du xviiie, mais moderne, dit précipitamment Saniette, tonifié et remis en selle par mon amabilité. Mais j’aime mieux Helleu. — Il n’y a aucun rapport avec Helleu, dit Mme Verdurin. — Si, c’est du xviiie siècle fébrile.