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parler de moi. Je crois que vous ferez bien de ne parler de rien devant Mme Verdurin, ajouta la princesse. — Ah ! vous faites bien de me le dire, répondit naïvement Brichot. Je transmettrai la recommandation à Cottard. » La voiture s’arrêta un instant. Elle repartit, mais le bruit que faisaient les roues dans le village avait cessé. Nous étions entrés dans l’allée d’honneur de la Raspelière où M. Verdurin nous attendait au perron. « J’ai bien fait de mettre un smoking, dit-il, en constatant avec plaisir que les fidèles avaient le leur, puisque j’ai des hommes si chics. » Et comme je m’excusais de mon veston : « Mais, voyons, c’est parfait. Ici ce sont des dîners de camarades. Je vous offrirais bien de vous prêter un de mes smokings mais il ne vous irait pas. » Le shake hand plein d’émotion que, en pénétrant dans le vestibule de la Raspelière, et en manière de condoléances pour la mort du pianiste, Brichot donna au Patron ne provoqua de la part de celui-ci aucun commentaire. Je lui dis mon admiration pour ce pays. « Ah ! tant mieux, et vous n’avez rien vu, nous vous le montrerons. Pourquoi ne viendriez-vous pas habiter quelques semaines ici ? l’air est excellent. » Brichot craignait que sa poignée de mains n’eût pas été comprise. « Hé bien ! ce pauvre Dechambre ! dit-il, mais à mi-voix, dans la crainte que Mme Verdurin ne fût pas loin. — C’est affreux, répondit allègrement M. Verdurin. — Si jeune », reprit Brichot. Agacé de s’attarder à ces inutilités, M. Verdurin répliqua d’un ton pressé et avec un gémissement suraigu, non de chagrin, mais d’impatience irritée : « Hé bien oui, mais qu’est-ce que vous voulez, nous n’y pouvons rien, ce ne sont pas nos paroles qui le ressusciteront, n’est-ce pas ? » Et la douceur lui revenant avec la jovialité : « Allons, mon brave Brichot, posez vite vos affaires. Nous avons une bouillabaisse qui n’attend pas. Surtout,