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j’aime ce petit celcle intelligent, agléable, pas méchant, tout simple, pas snob et où on a de l’esplit jusqu’au bout des ongles. — Nom d’une pipe, j’ai dû perdre mon billet, je ne le retrouve pas », s’écria Cottard sans s’inquiéter d’ailleurs outre mesure. Il savait qu’à Douville, où deux landaus allaient nous attendre, l’employé le laisserait passer sans billet et ne s’en découvrirait que plus bas afin de donner par ce salut l’explication de son indulgence, à savoir qu’il avait bien reconnu en Cottard un habitué des Verdurin. « On ne me mettra pas à la salle de police pour cela, conclut le docteur. — Vous disiez, Monsieur, demandai-je à Brichot, qu’il y avait près d’ici des eaux renommées ; comment le sait-on ? — Le nom de la station suivante l’atteste entre bien d’autres témoignages. Elle s’appelle Fervaches. — Je ne complends pas ce qu’il veut dil », grommela la princesse, d’un ton dont elle m’aurait dit par gentillesse : « Il nous embête, n’est-ce pas ? » « Mais, princesse, Fervaches veut dire, eaux chaudes, fervidae aquae… Mais à propos du jeune violoniste, continua Brichot, j’oubliais, Cottard, de vous parler de la grande nouvelle. Saviez-vous que notre pauvre ami Dechambre, l’ancien pianiste favori de Mme Verdurin, vient de mourir ? C’est effrayant. — Il était encore jeune, répondit Cottard, mais il devait faire quelque chose du côté du foie, il devait avoir quelque saleté de ce côté, il avait une fichue tête depuis quelque temps. — Mais il n’était pas si jeune, dit Brichot ; du temps où Elstir et Swann allaient chez Mme Verdurin, Dechambre était déjà une notoriété parisienne, et, chose admirable, sans avoir reçu à l’étranger le baptême du succès. Ah ! il n’était pas un adepte de l’Évangile selon saint Barnum, celui-là. — Vous confondez, il ne pouvait aller chez Mme Verdurin à ce moment-là, il était encore en nourrice. — Mais, à moins que ma vieille mémoire