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ne me quitterait pas d’une seconde. (Et je sentais bien que sa résolution ne durerait pas puisque je craignais, si nous restions à Balbec, qu’elle vît ce soir même, sans moi, les cousines de Bloch.) Or elle venait maintenant de me dire qu’elle voulait passer à Maineville et qu’elle reviendrait me voir dans l’après-midi. Elle n’était pas rentrée la veille au soir, il pouvait y avoir des lettres pour elle ; de plus, sa tante pouvait être inquiète. J’avais répondu : « Si ce n’est que pour cela, on peut envoyer le lift dire à votre tante que vous êtes ici et chercher vos lettres. » Et désireuse de se montrer gentille mais contrariée d’être asservie, elle avait plissé le front puis, tout de suite, très gentiment, dit : « C’est cela », et elle avait envoyé le lift. Albertine ne m’avait pas quitté depuis un moment que le lift vint frapper légèrement. Je ne m’attendais pas à ce que, pendant que je causais avec Albertine, il eût eu le temps d’aller à Maineville et d’en revenir. Il venait me dire qu’Albertine avait écrit un mot à sa tante et qu’elle pouvait, si je voulais, venir à Paris le jour même. Elle avait, du reste, eu tort de lui donner la commission de vive voix, car déjà, malgré l’heure matinale, le directeur était au courant et, affolé, venait me demander si j’étais mécontent de quelque chose, si vraiment je partais, si je ne pourrais pas attendre au moins quelques jours, le vent étant aujourd’hui assez craintif (à craindre). Je ne voulais pas lui expliquer que je voulais à tout prix qu’Albertine ne fût plus à Balbec à l’heure où les cousines de Bloch faisaient leur promenade, surtout Andrée, qui seule eût pu la protéger, n’étant pas là, et que Balbec était comme ces endroits où un malade qui n’y respire plus est décidé, dût-il mourir en route, à ne pas passer la nuit suivante. Du reste, j’allais avoir à lutter contre des prières du même genre, dans l’hôtel d’abord, où Marie Gineste et Céleste Albaret avaient