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vous n’oubliez pas que c’est vous qui venez me prendre. » Je ne pus m’empêcher de répondre assez sèchement : « Oui, à moins que je ne « lâche », car je commence à trouver cette vie vraiment stupide. En tout cas, si nous y allons, pour que mon temps à la Raspelière ne soit pas du temps absolument perdu, il faudra que je pense à demander à Mme Verdurin quelque chose qui pourra m’intéresser beaucoup, être un objet d’études, et me donner du plaisir, car j’en ai vraiment bien peu cette année à Balbec. — Ce n’est pas aimable pour moi, mais je ne vous en veux pas, parce que je sens que vous êtes nerveux. Quel est ce plaisir ? — Que Mme Verdurin me fasse jouer des choses d’un musicien dont elle connaît très bien les œuvres. Moi aussi j’en connais une, mais il paraît qu’il y en a d’autres et j’aurais besoin de savoir si c’est édité, si cela diffère des premières. — Quel musicien ? — Ma petite chérie, quand je t’aurai dit qu’il s’appelle Vinteuil, en seras-tu beaucoup plus avancée ? » Nous pouvons avoir roulé toutes les idées possibles, la vérité n’y est jamais entrée, et c’est du dehors, quand on s’y attend le moins, qu’elle nous fait son affreuse piqûre et nous blesse pour toujours. « Vous ne savez pas comme vous m’amusez, me répondit Albertine en se levant, car le train allait s’arrêter. Non seulement cela me dit beaucoup plus que vous ne croyez, mais, même sans Mme Verdurin, je pourrai vous avoir tous les renseignements que vous voudrez. Vous vous rappelez que je vous ai parlé d’une amie plus âgée que moi, qui m’a servi de mère, de sœur, avec qui j’ai passé à Trieste mes meilleures années et que, d’ailleurs, je dois dans quelques semaines retrouver à Cherbourg, d’où nous voyagerons ensemble (c’est un peu baroque, mais vous savez comme j’aime la mer), hé, bien ! cette amie (oh ! pas du tout le genre de femmes que vous pourriez croire !), regardez comme c’est extraordi-