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chez Mme Verdurin, c’est le village de Turold. D’ailleurs il n’y eut pas que des Normands. Il semble que des Allemands soient venus jusqu’ici (Auménancourt, Alemanicurtis) ; ne le disons pas à ce jeune officier que j’aperçois ; il serait capable de ne plus vouloir aller chez ses cousins. Il y eut aussi des Saxons, comme en témoigne la fontaine de Sissonne (un des buts de promenade favoris de Mme Verdurin et à juste titre), aussi bien qu’en Angleterre le Middlesex, le Wessex. Chose inexplicable, il semble que des Goths, des « gueux » comme on disait, soient venus jusqu’ici, et même les Maures, car Mortagne vient de Mauretania. La trace en est restée à Gourville (Gothorumvilla). Quelque vestige des Latins subsiste d’ailleurs aussi, Lagny (Latiniacum). — Moi je demande l’explication de Thorpehomme, dit M. de Charlus. Je comprends « homme », ajouta-t-il, tandis que le sculpteur et Cottard échangeaient un regard d’intelligence. Mais Thorph ? — « Homme » ne signifie nullement ce que vous êtes naturellement porté à croire, baron, répondit Brichot, en regardant malicieusement Cottard et le sculpteur. « Homme » n’a rien à voir ici avec le sexe auquel je ne dois pas ma mère. « Homme » c’est Holm, qui signifie « îlot », etc… Quant à Thorph, ou « village », on le retrouve dans cent mots dont j’ai déjà ennuyé notre jeune ami. Ainsi dans Thorpehomme il n’y a pas de nom de chef normand, mais des mots de la langue normande. Vous voyez comme tout ce pays a été germanisé. — Je crois qu’il exagère, dit M. de Charlus. J’ai été hier à Orgeville. — Cette fois-ci je vous rends l’homme que je vous avais ôté dans Thorpehomme, baron. Soit dit sans pédantisme, une charte de Robert Ier nous donne pour Orgeville Otgervilla, le domaine d’Otger. Tous ces noms sont ceux d’anciens seigneurs. Octeville la Venelle est pour l’Avenel. Les Avenel étaient une famille connue au moyen âge.