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enchantée de rêves féodaux que ceux qui avaient effectivement vécu parmi des princes, de même que, pour le petit commerçant qui, le dimanche, va parfois visiter des édifices « du vieux temps », c’est quelquefois dans ceux dont toutes les pierres sont du nôtre, et dont les voûtes ont été, par des élèves de Viollet-le-Duc, peintes en bleu et semées d’étoiles d’or, qu’ils ont le plus la sensation du moyen âge. « La princesse sera à Maineville. Elle voyagera avec nous. Mais je ne vous présenterai pas tout de suite. Il vaudra mieux que ce soit Mme Verdurin qui fasse cela. À moins que je ne trouve un joint. Comptez alors que je sauterai dessus. — De quoi parliez-vous, dit Saniette, qui fit semblant d’avoir été prendre l’air. — Je citai à Monsieur, dit Brichot, un mot que vous connaissez bien de celui qui est à mon avis le premier des fins de siècle (du siècle 18 s’entend), le prénommé Charles-Maurice, abbé de Périgord. Il avait commencé par promettre d’être un très bon journaliste. Mais il tourna mal, je veux dire qu’il devint ministre ! La vie a de ces disgrâces. Politicien peu scrupuleux au demeurant, qui, avec des dédains de grand seigneur racé, ne se gênait pas de travailler à ses heures pour le roi de Prusse, c’est le cas de le dire, et mourut dans la peau d’un centre gauche. »


À Saint-Pierre-des-Ifs monta une splendide jeune fille qui, malheureusement, ne faisait pas partie du petit groupe. Je ne pouvais détacher mes yeux de sa chair de magnolia, de ses yeux noirs, de la construction admirable et haute de ses formes. Au bout d’une seconde elle voulut ouvrir une glace, car il faisait un peu chaud dans le compartiment, et ne voulant pas demander la permission à tout le monde, comme seul je n’avais pas de manteau, elle me dit d’une voix rapide, fraîche et rieuse : « Ça ne vous est pas désagréable, Monsieur, l’air ? » J’aurais voulu lui