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antialcoolique, répondit Cottard. Il suffirait que quelque médicastre de province passât, pour qu’on dise que je ne prêche pas d’exemple. Os homini sublime dedit cœlumque tueri », ajouta-t-il, bien que cela n’eût aucun rapport, mais parce que son stock de citations latines était assez pauvre, suffisant d’ailleurs pour émerveiller ses élèves. M. de Charlus haussa les épaules et ramena Cottard auprès de nous, après lui avoir demandé un secret qui lui importait d’autant plus que le motif du duel avorté était purement imaginaire. Il fallait empêcher qu’il parvînt aux oreilles de l’officier arbitrairement mis en cause. Tandis que nous buvions tous quatre, Mme Cottard, qui attendait son mari dehors, devant la porte, et que M. de Charlus avait très bien vue, mais qu’il ne se souciait pas d’attirer, entra et dit bonjour au baron, qui lui tendit la main comme à une chambrière, sans bouger de sa chaise, partie en roi qui reçoit des hommages, partie en snob qui ne veut pas qu’une femme peu élégante s’asseye à sa table, partie en égoïste qui a du plaisir à être seul avec ses amis et ne veut pas être embêté. Mme Cottard resta donc debout à parler à M. de Charlus et à son mari. Mais peut-être parce que la politesse, ce qu’on a « à faire », n’est pas le privilège exclusif des Guermantes, et peut tout d’un coup illuminer et guider les cerveaux les plus incertains, ou parce que, trompant beaucoup sa femme, Cottard avait par moments, par une espèce de revanche, le besoin de la protéger contre qui lui manquait, brusquement le docteur fronça le sourcil, ce que je ne lui avais jamais vu faire, et sans consulter M. de Charlus, en maître : « Voyons, Léontine, ne reste donc pas debout, assieds-toi. — Mais est-ce que je ne vous dérange pas ? » demanda timidement Mme Cottard à M. de Charlus, lequel, surpris du ton du docteur, n’avait rien répondu. Et sans lui en donner cette seconde