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(Esther heureuse, Où mènent les mauvais chemins, À combien l’amour revient aux vieillards), m’ont toujours fait l’effet des mystères de Rocambole, promus par inexplicable faveur à la situation précaire de chef-d’œuvre. — Vous dites cela parce que vous ne connaissez pas la vie, dit le baron doublement agacé, car il sentait que Brichot ne comprendrait ni ses raisons d’artiste, ni les autres. — J’entends bien, répondit Brichot, que, pour parler comme Maître François Rabelais, vous voulez dire que je suis moult sorbonagre, sorbonicole et sorboniforme. Pourtant, tout autant que les camarades, j’aime qu’un livre donne l’impression de la sincérité et de la vie, je ne suis pas de ces clercs… — Le quart d’heure de Rabelais, interrompit le docteur Cottard avec un air non plus de doute, mais de spirituelle assurance. — … qui font vœu de littérature en suivant la règle de l’Abbaye-aux-Bois dans l’obédience de M. le vicomte de Chateaubriand, grand maître du chiqué, selon la règle stricte des humanistes. M. le vicomte de Chateaubriand… — Chateaubriand aux pommes ? interrompit le docteur Cottard. — C’est lui le patron de la confrérie, continua Brichot sans relever la plaisanterie du docteur, lequel, en revanche, alarmé par la phrase de l’universitaire, regarda M. de Charlus avec inquiétude. Brichot avait semblé manquer de tact à Cottard, duquel le calembour avait amené un fin sourire sur les lèvres de la princesse Sherbatoff. — Avec le professeur, l’ironie mordante du parfait sceptique ne perd jamais ses droits, dit-elle par amabilité et pour montrer que le « mot » du médecin n’avait pas passé inaperçu pour elle. — Le sage est forcément sceptique, répondit le docteur. Que sais-je ? γυωθι σεαυτου, disait Socrate. C’est très juste, l’excès en tout est un défaut. Mais je reste bleu quand je pense que cela a suffi à faire durer le nom de Socrate jusqu’à nos jours. Qu’est-ce qu’il y