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vous y entendre mieux que moi, M. de Charlus, à faire marcher des petits marins. Mais, après tout, nous nous donnons bien du mal pour M. de Guermantes. C’est peut-être un imbécile du Jockey. Oh ! mon Dieu, je dis du mal du Jockey, et il me semble me rappeler que vous en êtes. Hé baron, vous ne me répondez pas, est-ce que vous en êtes ? Vous ne voulez pas sortir avec nous ? Tenez, voici un livre que j’ai reçu, je pense qu’il vous intéressera. C’est de Roujon. Le titre est joli : « Parmi les hommes. »

Pour ma part, j’étais d’autant plus heureux que M. de Charlus fût assez souvent substitué à la princesse Sherbatoff, que j’étais très mal avec celle-ci, pour une raison à la fois insignifiante et profonde. Un jour que j’étais dans le petit train, comblant de mes prévenances, comme toujours, la princesse Sherbatoff, j’y vis monter Mme de Villeparisis. Elle était en effet venue passer quelques semaines chez la princesse de Luxembourg, mais, enchaîné à ce besoin quotidien de voir Albertine, je n’avais jamais répondu aux invitations multipliées de la marquise et de son hôtesse royale. J’eus du remords en voyant l’amie de ma grand’mère et, par pur devoir (sans quitter la princesse Sherbatoff) je causai assez longtemps avec elle. J’ignorais, du reste, absolument que Mme de Villeparisis savait très bien qui était ma voisine, mais ne voulait pas la connaître. À la station suivante, Mme de Villeparisis quitta le wagon, je me reprochai même de ne pas l’avoir aidée à descendre ; j’allai me rasseoir à côté de la princesse. Mais on eût dit — cataclysme fréquent chez les personnes dont la situation est peu solide et qui craignent qu’on n’ait entendu parler d’elles en mal, qu’on les méprise — qu’un changement à vue s’était opéré. Plongée dans sa Revue des Deux-Mondes, Mme Sherbatoff répondit à peine du bout des lèvres à mes questions et finit par me dire que je lui donnais