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domestique aux pieds plus rapides, et déjà familiarisé avec ces expressions, nous ayant répondu que « si Madame n’était pas sortie elle devait être à la « vue de Douville », « qu’il allait aller voir », il revint aussitôt nous dire que celle-ci allait nous recevoir. Nous la trouvâmes un peu décoiffée, car elle arrivait du jardin, de la basse-cour et du potager, où elle était allée donner à manger à ses paons et à ses poules, chercher des œufs, cueillir des fruits et des fleurs pour « faire son chemin de table », chemin qui rappelait en petit celui du parc ; mais, sur la table, il donnait cette distinction de ne pas lui faire supporter que des choses utiles et bonnes à manger ; car, autour de ces autres présents du jardin qu’étaient les poires, les œufs battus à la neige, montaient de hautes tiges de vipérines, d’œillets, de roses et de coreopsis entre lesquels on voyait, comme entre des pieux indicateurs et fleuris, se déplacer, par le vitrage de la fenêtre, les bateaux du large. À l’étonnement que M. et Mme Verdurin, s’interrompant de disposer les fleurs pour recevoir les visiteurs annoncés, montrèrent, en voyant que ces visiteurs n’étaient autres qu’Albertine et moi, je vis bien que le nouveau domestique, plein de zèle, mais à qui mon nom n’était pas encore familier, l’avait mal répété et que Mme Verdurin, entendant le nom d’hôtes inconnus, avait tout de même dit de faire entrer, ayant besoin de voir n’importe qui. Et le nouveau domestique contemplait ce spectacle, de la porte, afin de comprendre le rôle que nous jouions dans la maison. Puis il s’éloigna en courant, à grandes enjambées, car il n’était engagé que de la veille. Quand Albertine eut bien montré sa toque et son voile aux Verdurin, elle me jeta un regard pour me rappeler que nous n’avions pas trop de temps devant nous pour ce que nous désirions faire. Mme Verdurin voulait que nous attendissions le goûter, mais nous refusâmes, quand