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même écrites, me choquaient alors dans une lettre, bien qu’on s’y soit habitué depuis, mais qui, parlées, me semblent encore, même aujourd’hui, avoir, dans leur négligé voulu, dans leur familiarité apprise, quelque chose d’insupportablement pédant : « Contente d’avoir passé la soirée avec vous, me dit-elle ; amitiés à Saint-Loup, si vous le voyez. » En me disant cette phrase, Mme de Cambremer prononça Saint-Loupe. Je n’ai jamais appris qui avait prononcé ainsi devant elle, ou ce qui lui avait donné à croire qu’il fallait prononcer ainsi. Toujours est-il que, pendant quelques semaines, elle prononça Saint-Loupe, et qu’un homme qui avait une grande admiration pour elle et ne faisait qu’un avec elle fit de même. Si d’autres personnes disaient Saint-Lou, ils insistaient, disaient avec force Saint-Loupe, soit pour donner indirectement une leçon aux autres, soit pour se distinguer d’eux. Mais sans doute, des femmes plus brillantes que Mme de Cambremer lui dirent, ou lui firent indirectement comprendre, qu’il ne fallait pas prononcer ainsi, et que ce qu’elle prenait pour de l’originalité était une erreur qui la ferait croire peu au courant des choses du monde, car peu de temps après Mme de Cambremer redisait Saint-Lou, et son admirateur cessait également toute résistance, soit qu’elle l’eût chapitré, soit qu’il eût remarqué qu’elle ne faisait plus sonner la finale, et s’était dit que, pour qu’une femme de cette valeur, de cette énergie et de cette ambition, eût cédé, il fallait que ce fût à bon escient. Le pire de ses admirateurs était son mari. Mme de Cambremer aimait à faire aux autres des taquineries, souvent fort impertinentes. Sitôt qu’elle s’attaquait de la sorte, soit à moi, soit à un autre, M. de Cambremer se mettait à regarder la victime en riant. Comme le marquis était louche — ce qui donne une intention d’esprit à la gaieté même des imbéciles — l’effet de ce rire était de ramener