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concilier parfaitement ce que disait la Patronne avec la façon dont il traitait Saniette. Puis regardant sa montre, sans doute pour ne pas prolonger les adieux dans l’humidité du soir, il recommanda aux cochers de ne pas traîner, mais d’être prudents à la descente, et assura que nous arriverions avant le train. Celui-ci devait déposer les fidèles l’un à une gare, l’autre à une autre, en finissant par moi, aucun autre n’allant aussi loin que Balbec, et en commençant par les Cambremer. Ceux-ci, pour ne pas faire monter leurs chevaux dans la nuit jusqu’à la Raspelière, prirent le train avec nous à Donville-Féterne. La station la plus rapprochée de chez eux n’était pas, en effet, celle-ci, qui, déjà un peu distante du village, l’est encore plus du château, mais la Sogne. En arrivant à la gare de Donville-Féterne, M. de Cambremer tint à donner la « pièce », comme disait Françoise, au cocher des Verdurin (justement le gentil cocher sensible, à idées mélancoliques), car M. de Cambremer était généreux, et en cela était plutôt « du côté de sa maman ». Mais, soit que « le côté de son papa » intervînt ici, tout en donnant il éprouvait le scrupule d’une erreur commise — soit par lui qui, voyant mal, donnerait, par exemple, un sou pour un franc, soit par le destinataire qui ne s’apercevrait pas de l’importance du don qu’il lui faisait. Aussi fit-il remarquer à celui-ci : « C’est bien un franc que je vous donne, n’est-ce pas ? » en faisant miroiter la pièce dans la lumière, et pour que les fidèles pussent le répéter à Mme Verdurin. « N’est-ce pas ? c’est bien vingt sous ? comme ce n’est qu’une petite course… » Lui et Mme de Cambremer nous quittèrent à la Sogne. « Je dirai à ma sœur, me répéta-t-il, que vous avez des étouffements, je suis sûr de l’intéresser. » Je compris qu’il entendait : de lui faire plaisir. Quant à sa femme, elle employa, en prenant congé de moi, deux de ces abréviations qui,