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Charlus. Il y a autant de rapport de naissance entre lui et Mme de Cambremer qu’entre le Grand Condé et Racine. — Ah ! je croyais », dit Ski légèrement sans plus s’excuser de son erreur que, quelques heures avant, de celle qui avait failli nous faire manquer le train. « Est-ce que vous comptez rester longtemps sur la côte ? demanda Mme Verdurin à M. de Charlus, en qui elle pressentait un fidèle et qu’elle tremblait de voir rentrer trop tôt à Paris. — Mon Dieu, on ne sait jamais, répondit d’un ton nasillard et traînant M. de Charlus. J’aimerais rester jusqu’à la fin de septembre. — Vous avez raison, dit Mme Verdurin ; c’est le moment des belles tempêtes. — À bien vrai dire ce n’est pas ce qui me déterminerait. J’ai trop négligé depuis quelque temps l’Archange saint Michel, mon patron, et je voudrais le dédommager en restant jusqu’à sa fête, le 29 septembre, à l’Abbaye du Mont. — Ça vous intéresse beaucoup, ces affaires-là ? » demanda Mme Verdurin, qui eût peut-être réussi à faire taire son anticléricalisme blessé si elle n’avait craint qu’une excursion aussi longue ne fit « lâcher » pendant quarante-huit heures le violoniste et le baron. « Vous êtes peut-être affligée de surdité intermittente, répondit insolemment M. de Charlus. Je vous ai dit que saint Michel était un de mes glorieux patrons. » Puis, souriant avec une bienveillante extase, les yeux fixés au loin, la voix accrue par une exaltation qui me sembla plus qu’esthétique, religieuse : « C’est si beau à l’offertoire, quand Michel se tient debout près de l’autel, en robe blanche, balançant un encensoir d’or, et avec un tel amas de parfums que l’odeur en monte jusqu’à Dieu. — On pourrait y aller en bande, suggéra Mme Verdurin, malgré son horreur de la calotte. — À ce moment-là, dès l’offertoire, reprit M. de Charlus qui, pour d’autres raisons mais de la même manière que les