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est d’une simple bourgeoisie de petits architectes. — Je veux savoir ce que vous disiez de Mécène. Ça m’amuse, moi, na ! » redit Mme Verdurin à Brichot, par une amabilité qui grisa celui-ci. Aussi pour briller aux yeux de la Patronne et peut-être aux miens : « Mais à vrai dire, Madame, Mécène m’intéresse surtout parce qu’il est le premier apôtre de marque de ce Dieu chinois qui compte aujourd’hui en France plus de sectateurs que Brahma, que le Christ lui-même, le très puissant Dieu Jemenfou. » Mme Verdurin ne se contentait plus, dans ces cas-là, de plonger sa tête dans sa main. Elle s’abattait, avec la brusquerie des insectes appelés éphémères, sur la princesse Sherbatoff ; si celle-ci était à peu de distance, la Patronne s’accrochait à l’aisselle de la princesse, y enfonçait ses ongles, et cachait pendant quelques instants sa tête comme un enfant qui joue à cache-cache. Dissimulée par cet écran protecteur, elle était censée rire aux larmes et pouvait aussi bien ne penser à rien du tout que les gens qui, pendant qu’ils font une prière un peu longue, ont la sage précaution d’ensevelir leur visage dans leurs mains. Mme Verdurin les imitait en écoutant les quatuors de Beethoven pour montrer à la fois qu’elle les considérait comme une prière et pour ne pas laisser voir qu’elle dormait. « Je parle fort sérieusement, Madame, dit Brichot. Je crois que trop grand est aujourd’hui le nombre des gens qui passent leur temps à considérer leur nombril comme s’il était le centre du monde. En bonne doctrine, je n’ai rien à objecter à je ne sais quel nirvana qui tend à nous dissoudre dans le grand Tout (lequel, comme Munich et Oxford, est beaucoup plus près de Paris qu’Asnières ou Bois-Colombes), mais il n’est ni d’un bon Français, ni même d’un bon Européen, quand les Japonais sont peut-être aux portes de notre Byzance, que des antimilitaristes socialisés discutent gravement sur