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Le voyage est de trois cents lieues, en pays barbare, sans routes, sans police, plein de coupe-gorge et infesté de malfaiteurs. Si Tobie jeune, avec son bâton pour viaticum, réussit à passer, il y a tout a parier qu’avec son argent il ne repassera pas. La mère fait une opposition désespérée. Il faut partir cependant. Le hasard fait rencontrer au jeune homme un compagnon de voyage. Raphaël a visité tous les pays ; il connaît tous les sentiers, parle toutes les langues, a étudié toutes les sciences ; il s’est entretenu avec tout Israël. Il prend Tobie sous sa garde, lui sauve la vie au passage de l’Euphrate, lui fait épouser une belle et riche héritière, se charge lui-même d’opérer l’encaissement de la lettre de change ; puis il ramène le jeune couple sain et sauf, gorgé de richesses ; rend la vue au vieillard, le fils à la mère. Et quand les bonnes gens, qui doivent tout à cet inconnu, la vie et la vue, l’amour et la richesse, lui offrent de partager leur fortune, il répond : Je ne me nourris pas de celle viande. Ne semble-t-il pas entendre un de ces ouvriers, dont Paris est plein, qui, allant à son travail, se jette, chemin faisant,, dans la Seine glacée, sauve la vie à un enfant maladroit, à une femme désolée, et ne souffre pas même qu’on lui rembourse le quart de journée que lui retiendra le patron ? Raphaël, que la Bible appelle un ange, est le génie qui se prodigue, et n’accepte pour salaire que le don du cœur, égal à lui et seul capable de le payer. Qu’un homme de lettres, sur ce canevas, écrive une nouvelle : sa première pensée sera l’interdiction de reproduire. — Je ne suis pas un